Par Enoch Djondang

Que restera- t il d’une histoire bâtie sur de grossiers mensonges et préjugés ? Question à un sou qui mérite d’être posée ! Nous savons tous que l’opposition nord-sud est d’abord une construction idéologique basée sur des faussetés et préjugés, dans le but de diviser et de mobiliser.  Nous savons que le pays a hérité du colonisateur une administration embryonnaire, peu ou mal formée, sans grands moyens pour valablement gérer un territoire aussi vaste et peu développé en infrastructures.

Et qu’il était souvent facile de stigmatiser et de diaboliser des groupes entiers face à des foules ignorantes et de leur faire croire que les ennemis ce sont ces autres la.  Nous savons tous comment ces manipulations avaient causé du tort et fait de nombreuses victimes innocentes, transformer des vagabonds en redoutables tortionnaires durant les décennies passées. 

Nous savons bien que chaque grand groupe de population à son carnet noir où figurent les dates et les souvenirs les plus douloureux, conservés pour nourrir plus de haines, de relents revanchards souvent basés sur les rumeurs et les peurs et non sur une restitution de la vérité.  C’est grâce à tout ceci que certains ont pu accéder au pouvoir et aux privilèges avant d’en être chassés par d’autres et ainsi de suite. Il faut donc comprendre pourquoi tout processus de remise à plat et de réconciliation véritable finit en queue de poissons !  Quand l’on est du Sud, l’on doit connaître sa place, ses limites, son statut et ne pas chercher ni à comprendre ni à remettre en cause. De même quand on est du Nord, on doit accepter que ça doit se passer comme ça sans poser de question, pour le meilleur et pour le pire. 

Et quand les tchadiens se retrouvent, des influenceurs très expérimentés sont là pour rappeler qu’il y a des tabous, des sujets enseignés dans les familles et les communautés mais qu’il ne faut jamais aborder en public sinon ça va exploser ! Malheureusement, c’est dans ces sujets tabous que résident les racines des maux qui ravagent le pays depuis toujours. 

Sauf que d’aucuns vivent, règnent et profitent grâce à la persistance de ces tabous : ils ont des formules percutantes pour jouer sur l’ignorance et la peur et manipuler des populations entières comme des super-sorciers! Ceux qui tentent de remettre en cause cet ordre du mensonge, des préjugés et des discriminations profitables, doivent être éliminés purement et simplement ! 

Dans les années 90, pendant que nous implantions le mouvement de défense des droits de l’homme, un profond travail de sape était entrepris par ces cercles puissants auprès des compatriotes du septentrion pour leur faire croire que nous ne luttons que pour le retour des sudistes au pouvoir, donc tout nordiste qui s’engage est un traître ! 

Dans le même ordre, les compatriotes du septentrion étaient défendus de créer des associations politiques et civiles fortes, et avaient l’obligation de suivre un seul leadership nordiste pour empêcher que les sudistes reviennent au pouvoir grâce aux jeux démocratiques transparents ! Certains ont payé de leurs vies pour avoir refusé de se plier à cette supercherie ! 

Mais la partie septentrionale du pays n’ayant jamais été sous la coupe exclusive d’un clan, il a fallu développer le principe du partage des ministères et des institutions pour faire croire aux compatriotes du Nord qu’ils avaient leurs comptes et qu’ils devraient tout faire pour éviter un retour en masse de ceux du Sud dans les rouages-clés de l’État et des FDS. 

En manipulant habillement la tactique de l’os tendu au chien au bout d’une corde en échange de sa servilité, le système a réussi à emballer les grands cadres sudistes dans des luttes fratricides pour arracher l’os : région contre région, parents contre parents, dès que certains, après des turpitudes ridicules, arrivent à toucher l’os, le manipulateur suprême le tend à d’autres et les enchères et querelles vont bon train ! 

Cependant, à chaque fois que la question de l’alternance au pouvoir est posée, l’on ressort dans les réseaux de la manipulation aux nordistes que les sudistes seraient leurs ennemis dangereux qui n’attendraient que le retour au pouvoir pour se venger et chasser ou rétrograder les nordistes ! Certainement que cette machine digne d’un Ku-Klux-Klan va tourner à plein rendement dans la perspective du prochain référendum ?  Mais voyons les mensonges grossiers que comporte cette idéologie néonazie : 

1) sur les 7 présidents qui ont dirigé le pays, il n’y a eu que 2 sudistes pour un total de 20 ans sur les 62 depuis 1960,

 

• • 2) ces deux présidents sudistes sont arrivés au pouvoir par des processus institutionnels : le premier était élu, le second a succédé au premier dans les mêmes institutions républicaines. 

• • 3) pour tous les autres, chacun est arrivé avec l’appui d’une milice armée et par la guerre ou faits de guerre. 

• • 4) il est aujourd’hui impossible qu’un leader du Sud arrive au pouvoir au Tchad par la même méthode darfourienne : même dans une affreuse guerre civile, les sudistes ne sont pas prêts à vouloir conquérir et asservir leurs compatriotes nordistes par les armes !

• • 5) au delà de la résolution de la question préjudiciable de la citoyenneté, de la justice et de l’égalité, la plupart des sudistes sont attachés à la conception institutionnelle du pouvoir et rejettent la conception guerrière introduite depuis plus de quatre décennies. 

• • 6) aucun leader politique du Sud ne s’intéresse davantage aux problématiques de cohabitation difficile dans le Nord pour se permettre de se livrer à une soi-disant vengeance contre les nordistes à la faveur du pouvoir. 

• • 7) bien au contraire, tout leader politique sudiste, sachant la vulnérabilité sécuritaire du pouvoir à Ndjaména par rapport aux menaces habituelles venant du Nord ou de l’Est, fera tout pour s’appuyer davantage sur les cadres civils et militaires nordistes pour stabiliser le territoire. 

• • 8) de plus, il est impossible à un sudiste, arrivé au pouvoir par la voie des urnes, d’armer son clan ou sa tribu pour s’en entourer aux seuls fins de confisquer le pouvoir et ses privilèges. 

• • 9) sur le plan culturel et religieux, la majorité des sudistes sont enseignés dans le pardon et ne sont pas partant pour les vendettas et les rezzous contre d’autres populations. 

• • 10) dans le Tchad de 2023, toutes les régions ont suffisamment de cadres et des jeunes en formation et connectés au 21e siècle pour voir le Tchad autrement que sous le prisme du régionalisme et des divisions injustifiées sur lesquels une partie des élites voudrait encore surfer pour ses intérêts mesquins. 

• • 11) en réalité, c’est la nature du pouvoir et son mode d’accession et de conservation qui sont le fond du problème et non pas l’origine de celui qui dirigera le pays. 

Si les processus de dialogue et de recherche de solutions étaient sincères et inclusifs, si l’entêtement des ténors du pouvoir actuel à rejeter toute alternance ne guidait pas les coulisses de la transition, peu importe qui arriverait au pouvoir par la volonté de la majorité des tchadiens : celui-ci et ses partisans seront contraints de gouverner autrement que ce qu’on a vu jusqu’ici ! 

Un pouvoir issu d’une telle légitimité respecterait la Constitution, les lois, les principes démocratiques, la justice et l’égalité entre tous les tchadiens, ayant fait l’objet d’un vrai consensus. Il n’y aura pas besoin réprimer, opprimer, piller, tuer et brûler pour exercer un tel pouvoir. 

Les FDS et les institutions reflèteront la diversité et l’équité. Les citoyens respecteront l’ordre public volontairement car légitime. Il n’y aura rien de tout ce qui fait pleurer et gémir les tchadiens actuellement et chaque région vivra la paix et se développera de façon harmonieuse. Des citoyens pourraient même se faire élire dans des régions dont ils ne sont pas originaires, grâce à leurs qualités et programmes. Etc.  Seulement, tout ce qui vient d’être dit ici est trop difficile à comprendre et à assimiler, tant par les tenants de l’idéologie de division nord-sud que par beaucoup de tchadiens qui ont été empoisonnés malgré eux par les ravages de cette idéologie néonazie. 

En plus que cela affranchirait définitivement le Tchad de ce statut de porte-chars de la Françafrique et du mercenariat transfrontalier, pour devenir réellement indépendant, souverain et prospère : cette perspective sera vigoureusement combattue par les parrains extérieurs de la division et de l’asservissement des tchadiens ! 

Heureusement que l’espoir est toujours permis, comme me l’as dit un compatriote et ami du Nord en exil pour ses opinions :

En fait ce sont des gens qui doivent tout au régime: des analphabètes bombardés généraux, gouverneurs et je ne sais quoi d’autre et qui défendent leur beefsteak . Ces gens ne représentent pas le nord. Les nordistes font la différence entre des individus qui défendent leurs intérêts égoïstes et les intérêts des régions. Sur ce plan nous sommes tous logés à la même enseigne. Et peut-être même que le nord est plus compromis que le sud dans son avenir sans compter que ses enfants sont tués pour défendre l’indefendable. J’ai en ce qui me concerne plus peur que les gens d’autres régions mettent tous les gens du nord dans le même panier. C’est ce qui risque d’arriver.

Et c’est cette difficulté à guérir de ce mal inculqué, de cet obscurantisme entretenu, qui fera que les changements attendus réclameront encore du sang, de la sueur et des larmes… Mais si tous les vrais patriotes et de bonne foi se lèvent de partout pour refuser les aliénations collectives, le pays sera sauvé et restauré plus tôt et plus rapidement que d’aucuns pourraient croire !