La crise soudanaise qui est à sa sixième semaine devient une préoccupation majeure pour la communauté internationale, pourtant habituée à des crises politiques et conflits. L’on compte désormais plus de sept cent morts, des dégâts matériels immenses, un flux tendu des réfugiés par les pays voisins. Si le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Gouterez, a reconnu avoir échoué à éviter une guerre au Soudan, rien en tout cas ne laisse espérer qu’à cette date, une sortie de crise à l’horizon soit proche puisque l’ONU n’est reléguée comme d’habitude qu’à l’assistance humanitaire. Et là, la déflagration étendue n’y tardera pas.
Mais ce conflit soudano-soudanien par sa nature, son ampleur et statut ainsi que les soutiens des deux belligérants qui ceinturent le Soudan et venant de la Russie est un casse-tête chinois pour la communauté internationale qui ne s’y est même pas préparée et hébétée au matin de ce conflit inattendu pourtant visible.
Cette guerre soudano-soudanaise pourrait encore durer longtemps, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer. Cette hypothèse est d’autant plus inquiétante que l’implication ambiguë et coupable de certains pays voisins dans cette crise est susceptible d’allonger les combats, pour ainsi dire, avec un risque évident de déplacement des champs de combats dans les pays limitrophes. Les indices d’un tel scénario sont manifestement perceptibles, vu du Tchad qui accueille depuis le début le début des centaines de milliers de réfugiés ainsi que plus de 70 hauts dignitaires soudanais proches du pouvoir de transition qui sont logés dans l’un des hôtels de la place. Une petite étincelle sera suffisante pour déclencher l’incendie chez l’un ou l’autre voisin du Soudan. Cette crainte est partagée par beaucoup des chercheurs.
Le Tchad et l’Egypte apparaissent comme les premières terres de contagion. Officiellement, l’Egypte est proche du président du Conseil souverain de la transition du Soudan, général Abdel Fattah Al-Burhan Abdulrahman. Depuis le début de la crise, sa position est connue, même si le gouvernement égyptien n’apporte pas de soutien quelconque aux forces armées républicaines dirigées par celui-ci. Cependant, la capture de 30 soldats égyptiens brièvement détenus puis libérés par les Forces de Soutien Rapide (RSF) ainsi que la mort d’un diplomate égyptien à Khartoum pendant le conflit constitue l’effroi inacceptable. Tout compte fait, l’Egypte est très mal placé et risqué d’entrer en conflit aux cotés Al-Burhan. Il y a tout intérêt au risque de perdre le soutien important que lui apporte les Émirats Arabes Unis (EAU) qui par malheur se trouve être aussi le soutien de RSF. Il en est de même avec le Général Haftar allié de l’Egypte et soutien de RSF.
De son côté, le gouvernement tchadien réclame sa neutralité par des communiqués de presse. Cependant, il se dit depuis le début de la crise, avec insistance, que les autorités de N’Djaména ont de la préférence pour le général Abdel Fattah Al-Burhan Abdulrahman. En tout cas, il est difficile pour les autorités tchadiennes de prouver leur neutralité. Dans les différents communiqués de presse du gouvernement ou du ministère des Affaires étrangères, transparaît subtilement leur parti pris…
Les offensives diplomatiques du Tchad
Mais l’on se souvient. Le dimanche 29 janvier 2023, le président de la transition du Tchad, Mahamat Idriss Deby avait reçu en audience le président du Conseil souverain de la transition du Soudan, général Abdel Fattah Al-Burhan Abdulrahman. Officiellement, les discussions avaient porté sur plusieurs sujets au nombre desquels la mise en œuvre des accords signés précédemment, les questions sécuritaires dans les deux frontières, la gestion des refugiés vivant entre les deux frontières.
Curieusement, le 30 janvier, soit 24 heures après, c’était le tour du vice-président du Conseil souverain de la transition du Soudan, Général Mahamat Hamdane Dagalo dit Himeti, d’être à N’Djaména. Il était reçu, successivement, par le général Mahamat Idriss Deby Itno et le premier ministre de la transition, Saleh Kebzabo. L’objet semblait être les mêmes préoccupations. Les deux dirigeants arrivent à tour de rôle à N’Djaména alors que plus tôt, le 20 janvier, le général Mahamat Idriss Deby Itno a envoyé une forte délégation dirigée par son Directeur du Cabinet à Khartoum où un courrier fermé avait été servi aux deux Chefs de transition du Soudan.
Officiellement, l’on parlait d’une rencontre axée sur des questions d’intérêts communs dans divers domaines au cours de ces visites marathons. Mais s’agissait-il déjà des discussions pour éviter ces affrontements meurtriers actuels ? Difficile de l’avouer puisque cela avait complètement échappé à la médiatisation. Mais dès le début de la crise, il se raconte que les couteaux étaient tirés entre les deux protagonistes depuis cette période.
Le Tchad qui partage de longues frontières, qui partagent les mêmes groupes ethniques et qui a d’intérêts économiques, commerciaux communs avec le Soudan devrait faire prévaloir des positions médianes pour éviter toute duplication du conflit sur son sol, lui qui est déjà trop fragile. L’Egypte, fort de ses relations avec certains pays du golfe, très liés à Himeti, peut se trouver dans une situation des choix stratégiques, diplomatiques et géostratégiques très délicate. Elle soutient naturellement le général Abdel Fattah Al-Burhan pour des raisons évidentes. Mais en pareille crise très énorme, l’Egypte a également tout intérêt à mettre sa diplomatie au service de la recherche des solutions impartiales afin de contenir la catastrophe. Cela est valable pour le Tchad, qui est plus vulnérable en raison du prolongement ethnique et la présence massive des réfugiés soudanais sur son sol.
Les apports constructifs de tous les pays voisins au Soudan, à l’image du Soudan du sud sont déterminants pour éviter des débordements transfrontaliers et les risques graves sur les installations pétrolières. Dans la mesure où l’exportation du pétrole du Soudan du sud transit par le Soudan à travers l’oléoduc dont dépendent presque entièrement les revenus du gouvernement de Juba. Pire, le Soudan est l’un des deux garants régionaux de l’accord de paix signé en 2018 entre les belligérants sud.
Mardi, le président égyptien, Abdel-Fattah Al-Sissi, a dépêché son ministre des Affaires étrangères avec un courrier adressé à Mahamat Idriss Deby avant que l’émissaire ne poursuive son périple au Soudan du sud. Si ces actions diplomatiques travaillent conjointement et de manière impartiale au retour de la paix, elles participeraient à éviter l’implosion de la violence et son déchaînement vers d’autres pays.
Mais le fait qu’un camp de belligérants ait arraché le véhicule de l’ambassade du Tchad au Soudan est un mauvais signe qui témoigne de dessous contre les autorités tchadiennes. Tout compte fait, les enjeux sont majeurs avec les voisins immédiats, Egypte, Soudan du sud et le Tchad tous engagés dans un puzzle géopolitique et intérêts des puissances aux ramifications russo-russe et américaine.