‘’Ville nouvelle’’ : l’utopie concrète du gouvernement tchadien

Le 10 juillet 2024, le ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme et de l’Habitat, Mahamat Assileck Halata, a mis en place la Commission de réflexion pour la création d’une ville nouvelle (CRCVN), dont l’arrêté a été rendu public plus tard le week-end dernier. Une annonce qui a provoqué la colère de l’opinion publique manifestée à travers les réseaux sociaux. Même si ladite commission a, au cours d’un point de presse fait le lundi 26 août, apporté des éclairages sur ce projet, l’opinion publique demeure pantoise, quant à sa pertinence. Délocaliser ou ne pas délocaliser la capitale, le problème en soi est très mal posé. Et c’est un euphémisme.

« L’ambition dont on n’a pas de moyen est une folie », a réagi lundi dans une vidéo sur sa page officielle Facebook, le médecin et ancien ministre, Dr Djiddi Ali Sougoudi. Plusieurs observateurs avertis ont d’ailleurs décrié cette nouvelle décision du ministère de l’Aménagement du territoire, jugée globalement irréfléchie et mal venue, d’autant que l’urgence est là : lutter contre les inondations qui ravagent plusieurs villes et campagnes du Tchad. Beaucoup ironisent d’ailleurs que même le parti MPS arrivé au pouvoir depuis 34 ans, n’a pas achevé de construire son siège, c’est tout une ville qu’on veuille créer et construire ! Plusieurs édifices, infrastructures et autres éléphants bancs sont restés inachevés dans plusieurs villes du Tchad depuis une dizaine d’années faute de moyen. Avec quelles ressources, le gouvernement compte-t-il financer un tel projet ? Le secrétaire général dudit ministère, Youssouf Faraj Mabrouk, a trouvé juste de dire que ‘’ on peut construire une ville nouvelle à partir de zéro franc ». C’est tant mieux !

Mais pendant que l’on cherche à sauver les victimes et les potentielles victimes des inondations qui n’attendent pas, il est hasardeux de se fier à des annonces concernant une supposée extension de la capitale. Même si l’on était forcé à admettre que c’est l’une des solutions aux inondations à répétition dans la ville de N’Djaména, quelles solutions alors pour les autres villes qui sont plongées sous cette même calamité ? Admettant même que ce projet est soutenable, le bon sens commanderait qu’il faille continuer à apporter des solutions globales à l’urgence ainsi que la limitation de la proportion des inondations et se pencher sur des solutions durables une fois la période d’inondations passée. Sans compter que les questions des investisseurs ne sont pas encore posées.

C’est d’autant plus une diversion qu’un tel projet ne saurait émaner de l’acte d’un simple ministre, quand on sait la complexité et la délicatesse de sa portée. Quoi qu’on dise, le ministère de l’Aménagement du territoire, qui a maille à parti avec la construction d’une simple digue dans le 9ème arrondissement, ne peut en aucun cas porter sur ses épaules seules le poids d’un gigantesque projet comme celui-là. Pour de nombreux observateurs de la scène politique, qui rappellent plusieurs exemples de commissions créées par le passé et qui sont restées lettre morte, cette nouvelle commission constitue un moyen de dilapidation des ressources financières et matérielles à ses membres. C’est en tout cas pour donner raison au Français Georges Clémenceau pour qui « quand on veut enterrer une décision, on crée une commission ».

Dans cette situation, il serait permis de comprendre que le fait de placer le ministre des Finances et de l’Economie, Tahir Hamid Nguilin, à la tête du comité national en charge de gestion des inondations, le patron de l’Aménagement du territoire se verrait effacé et en chômage, et qu’il créerait cette commission pour montrer qu’il existe également. De mauvaises langues extrapolent d’ailleurs qu’il fallait créer ça pour se remplir des poches et partager aux amis, cousins et camarades qui sont fatigués de l’oisiveté. Ce qui n’est pas a priori faux. Mais jusques à quand cette utopie de gouvernance ? Puisque le projet paraît visible, il faudra se le dire ; c’est une utopie concrète.