Tchad: Quelle légitimité reste-t-il encore aux autorités de la transition?

Beaucoup de Tchadiens sont las. Au lieu de s’arrêter uniquement à ces nombreux fiascos, Mahamat Idriss Deby se laisse emporté dans un élan, tel le film La Folie des grandeurs qui le conduit, lors de ses nombreux déplacements, à mettre en place un cortège absolument ostentatoire, arrogant et vaniteux…Dieu seul sait combien ce genre de cortège coûte ! Pourtant, juste à côté au Mali, le président de la transition Assimi Goïta se déplace dans un cortège très modeste et sans fanfaron. Lui qui se refuse tout déplacement extérieur, inutile.

Alors que l’on annonçait la mort du président Idriss Deby Itno, ce 20 avril 2021, son fils Mahamat était porté à la tête de l’Etat et ce, contre les dispositions constitutionnelles. Il faut se garder à l’esprit, tous les discours élogieux et toutes démonstrations filandreuses avancés par l’armée, par le président français,  par l’Union africaine, par les partisans du CMT (Conseil militaire de transition), à savoir « le cas du Tchad est une situation exceptionnelle » ou encore « les militaires rendront le pouvoir à un gouvernement civil à l’issue d’une élection dans 18 mois », etc. consistaient à amener l’opinion publique nationale et internationale à légitimer le pouvoir de Mahamat Kaka. Le peuple, peu à peu, a effectivement avalisé contre-nature ce coup d’État constitutionnel. Beaucoup d’acteurs ont accepté dans la gestion de cette transition en acceptant d’occuper des fonctions diverses.

La communauté internationale et le peuple tchadien ont conditionné cette légitimité à un agenda clair : assurer la sécurité du territoire, des personnes et des biens dans le respect des droits de l’homme, organiser un dialogue inclusif, remettre le pouvoir aux civils à l’issue des élections libres et transparentes, sans participation des autorités de transition. Tout cela au bout de 18 mois. Après deux ans, aucun de ces points n’est respecté. Même la sécurité n’est pas garantie, quand on sait que ces derniers jours, les populations du sud sont massacrées par des assaillants en provenance de la RCA, tout comme dans plusieurs provinces où des conflits et affrontements meurtriers ont fait de nombreuses pertes en vies humaines et matériels depuis la mise en place de la transition.

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Aujourd’hui, ces arguments majeurs ci-haut mis en avant ne tiennent plus. L’enquête devant nous situer sur le sort du Maréchal qui devrait ou non justifier l’exception invoquée est bâclée. L’on ne sait pourquoi, mais tout compte fait, c’est à dessein. Et le second argument d’organiser les élections dans 18 mois afin de laisser le pouvoir à des civils est devenu une véritable supercherie dans la mesure où non seulement la transition est repoussée pour 24 mais, sûrement bien plus, mais aussi et surtout le président de la transition ne cache plus son intention de briguer le prochain mandat électoral. Ce qui constitue un second coup d’État.

Les institutions de la transition coupables de crimes

A l’heure actuelle, à moins de se tromper, il n’y a aucune raison qui légitime le pouvoir de la transition comme cela devrait l’être. C’est ce qui a conduit au macabre massacre du 20 octobre. Non seulement les citoyens tchadiens ont été massacrés lors de la manifestation, beaucoup d’entre les victimes ont été fouillés, arrêtés et assassinés.

Aucune raison ne justifie ces crimes pour lesquels les institutions de la transition se sont rendus coupables et sont aujourd’hui restés muets comme des carpes. D’autres Tchadiens meurent dans des attaques à connotation terroristes dans une partie du pays pendant que le gouvernement ne daigne rassurer les populations.

Face à cette liste d’actes inacceptables par le peuple, le président fait une tournée dite nationale dans toutes les provinces. Ça n’est pas pour rassurer les populations. Ça n’est pas pour apporter une réponse à de nombreuses angoisses. Ça n’est pas pour décrisper l’atmosphère générale caractérisée par la colère et les frustrations. Mais il concourt à rééditer des promesses déjà faites depuis toutes les années de règne du régime MPS. Pourtant, si l’on admet que l’administration est une continuité, Mahamat Idriss Deby Itno aurait gagné en mettant simplement en œuvre les anciennes promesses et anciennes poses des pierres. Malheureusement, dans la foulée de cette tournée injustifiée, il déclare la guerre à certains Tchadiens, qu’il accuse de tout.

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La vérité est que sur toutes les lignes, le président de la transition ne semble avoir convaincu personne. De manière silencieuse mais franche, les partenaires internationaux importants ont tous tourné le dos au gouvernement de la transition, et tous répètent les mêmes refrains du respect des engagements initiaux. Les jours à venir s’avèrent inquiétants. Or, dans cette situation, convaincre la majorité et non seulement son club est, au risque de répétition, nécessaire pour rétablir ne serait-ce une petite légitimité pour continuer à diriger le pays. Cela est d’autant nécessaire que sans la légitimité, il n’opérera aucun changement dans aucun domaine. Comme l’a dit l’ancien président français, François Hollande, « pour réussir le changement, il faut mobiliser la société».

Il faut une légitimité de résultat…

On sait que par définition, la légitimité est la reconnaissance sociale d’une autorité et l’obéissance voulue à ses décisions. Dans une démocratie représentative comme la nôtre, elle découle des mécanismes constitutionnels qui sont le fruit de la volonté commune et solennelle du corps social. « Ce qui n’est pas le cas, actuellement, en ce qui concerne le Tchad. A défaut, il faut donc une légitimité de résultat, fondée sur le consensus des différents acteurs autour d’une feuille de route et sa réalisation. La légitimité de Mahamat Kaka doit venir de là. Or, l’agenda de départ et sa violation sous le couvert des résolutions du dialogue (sans la participation de tous acteurs politiques majeurs) ne favorisent plus, depuis lors une quelconque légitimité », commente un juriste sous l’anonymat. Tous les engagements, gage de la bonne foi, à savoir la durée de la transition, la non candidature et la préservation de la sécurité, ayant connu de fiasco.

Comment Mahamat réussira-t-il à opérer une certaine refondation voulue, alors que vu de l’opinion, il n’a raison sur aucun engagement qu’il a pris, au départ. Tout comme il n’a convaincu personne et il ne convaincra plus personne. Tout comme avec tout ce que l’on sait des organes en charge de la mise en œuvre des résolutions du Dialogue national inclusif et souverain, dont la CONOREC, qui une pomme de discorde sur le futur référendum avorté à l’avance, par quelle alchimie entend-il organiser le soi-disant retour à l’ordre constitutionnel ? Les moyens et les personnes, tous interrogent.

Lorsque toutes ces questions sont posées, l’on réalise que le Tchad est pris dans un piège sans fin, par un pouvoir sans légitimité conséquente. Mais ce pouvoir pratique l’usure du temps, en profitant d’une situation : la fragilité de la sous-région et du pays. Mais la question qu’il se pose à tout le monde devrait donc être : que faut-il faire pour sortir de cette impasse ?