Crise sécuritaire : ce qui se passe au sud et dans tout le Tchad…

Par Amine Idriss, Blogueur

…la situation dans le Sud actuellement est marquée par une crise d’une ampleur sans précédent. Les chiffres sont alarmants : depuis le début de l’année 2021, plus de 30 000 demandeurs d’asile ont fui  la République centrafricaine voisine, rejoignant ainsi les 90 000 réfugiés et 45 000 personnes déjà déplacées présentes dans la région. Ces mouvements massifs de population ont exacerbé les tensions entre les communautés, en particulier les agriculteurs et les éleveurs, dans leur lutte pour l’accès aux ressources naturelles. Les affrontements meurtriers se multiplient, engendrant des centaines de victimes et de blessés. Les autorités locales administratives et de maintien de l’ordre semblent impuissantes à ramener la quiétude dans la région. Les violences ont d’ailleurs pris une ampleur sans précédents ces dernières semaines, avec des groupes criminels qui sèment la mort et le chaos dans tous les villages. Dans ce contexte, l’idée de déployer des troupes pour rétablir la paix et protéger les populations civiles pourrait paraître séduisante. Cependant, avant de se lancer dans une telle aventure, le gouvernement devra se montrer extrêmement prudent, car la réalité du terrain est complexe et troublante….

…le pays est plongé dans une instabilité sécuritaire chronique doublée d’une grande incertitude politique depuis la mort du MIDI en avril 2021 et la mise en place CMT, au départ certes contesté par l’opposition et la société civile, mais désormais apparemment accepté par les forces politiques de l’intérieur, à l’exception notable des Transformateurs, et peut-être le PSF de Yaya Dillo. La fragilité économique et sociale, exacerbée par les inondations récurrentes et la récente crise du carburant, ajoute une dimension supplémentaire à ce tableau déjà sombre. De plus, la menace persistante des groupes criminels de plus en plus nombreux, mais aussi celle des rebelles dans les régions du Nord représente un autre défi pour le gouvernement, désormais confronté aux conséquences funestes d’une guerre civile meurtrière au Soudan…

…face à cette réalité complexe, il est essentiel de se poser les bonnes questions. Un déploiement de troupes constitue-t-il réellement une solution viable et durable pour mettre fin aux massacres et rétablir la stabilité au Sud ? Ou bien pourrait-il aggraver une situation déjà précaire et déclencher de nouvelles violences ? L’opportunité d’un déploiement militaire ne peut que soulever des inquiétudes légitimes. Les expériences passées ont montré que notre armée souffre d’un manque structurel de discipline et a été impliquée dans des violations des droits de l’homme, y compris des massacres de civils. La confiance dans son aptitude à protéger les populations civiles est infime voire inexistante. Elle est d’ailleurs détestée, et même si elle peut faire peur, elle n’est pas crainte par les groupes qui sèment la mort et la desolation. De plus, la question de la souveraineté nationale et des relations diplomatiques avec les pays voisins et spécialement la RCA se pose également, compte tenu des incidents précédant impliquant l’intervention de l’armée au-delà de nos frontières. La décision de déployer potentiellement des troupes supplémentaires au Sud est donc entourée d’une multitude de considérations délicates et de conséquences potentiellement dévastatrices. Il est impératif d’évaluer avec prudence les risques et les avantages d’une telle mesure. Certes, l’idée d’une opération spéciale pour protéger les populations vulnérables et désarmer les groupes armés pourrait être compréhensible compréhensible. Mais les autorités traditionnelles, religieuses et les organisations de la société civile ne soutiendront peut-être pas une telle initiative, quoiqu’elles aspirent à une stabilisation de la situation et à la restauration de la paix. Et les leçons du passé, spécialement lors d’événements impliquants l’armée, ne peuvent être ignorées…

…dans cette situation explosive, il est crucial de reconnaître que la sécurité et la paix ne reviendront pas au Sud et partout ailleurs au Tchad par la force des armes, spécialement quand ces armes sont contrôlées par une armée considérée illégitime er semeuse de morts. Un processus politique inclusif et transparent doit être mis en place pour ramener la justice et l’égalité. La solution durable ne peut être atteinte qu’à travers une approche holistique qui aborde les racines profondes de ces conflits. Or, le DNIS de 2022 avait catégoriquement refusé d’aborder dans le fonds les causes structurelles de nos crises. Les voix des Tchadiens doivent pourtant être entendues, leurs préoccupations prises en compte et leurs droits respectés. Il est temps d’ouvrir un dialogue sincère et constructif entre toutes les parties impliquées, en favorisant la participation des communautés locales, des organisations de la société civile et des groupes ethniques, y compris toutes les voix véritablement dissidentes…

…la transparence et la responsabilité doivent être les principes fondamentaux de ce processus, si on souhaite véritablement lutter contre l’impunité, poursuivre les responsables des violences et garantir que toutes les parties soient traitées de manière équitable. Les blessures du passé et celles du présent ne seront guéries que si la vérité est révélée et que des mécanismes de justice sont pleinement activés. C’est un impératif de regarder au-delà des mesures purement sécuritaires ou de préservation des intérêts personnels et de s’engager dans un véritable processus de réconciliation nationale. Cela implique bien sûr de s’attaquer en priorité aux inégalités et aux injustices profondément enracinées qui alimentent les tensions. Le Tchad a besoin d’espoir, de stabilité et de paix. Mais créer la paix et la justice ne peut être réalisé qu’en adressant les causes sous-jacentes de nos conflits et en créant un environnement propice à la justice et à l’égalité. La situation actuelle exige une réflexion profonde et une mobilisation collective…