Au Tchad, si les lignes directrices des politiques actuelles réaffirment théoriquement le Secteur agropastoral comme moteur de la croissance économique, de la lutte contre l’insécurité alimentaire et de la pauvreté, les stratégies agricoles sont loin de consacrer un développement ou une promotion de l’agriculture. En dépit des politiques rurales périlleuses entretenues par les pouvoirs publics, la société civile, sensée défendre le bien-être des citoyens, demeure insensible, alors que l’insécurité alimentaire monte d’un cran.
Dans un contexte de changements climatiques rapides à l’échelle mondiale, de profil démographique tchadien marqué par des populations doublant tous les vingt (20) ans et de pauvreté, phénomène rural, l’agriculture ne doit pas seulement être rendue performante mais plus innovante afin de répondre à l’incessant besoin d’alimentation et de nutrition de la population rurale, et contribuer à l’autosuffisance alimentaire dans les milieux urbains, à travers l’auto-alimentation nationale qui est un gage pour bien s’alimenter et moins cher.
A cet effet, le gouvernement ne doit pas seulement affirmer la place et le rôle de l’agriculture mais également de l’élevage dans l’économie nationale du bout des lèvres. A l’image de cette campagne agricole 2023-2025, où le ministère d’Etat en charge de la Transformation et de la Production agricole annonce une « révolution agricole du Tchad », il est inconcevable que le budget alloué pour ce secteur ne soit que de moins de deux (2) milliards de F CFA pour les achats des intrants agricoles. Pourtant, d’un autre côté, le même gouvernement annonce une grande famine à l’horizon sans pour autant prendre des mesures de crise afin de prévenir cette situation.
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Il va de soi que la vulnérabilité chronique des populations tchadiennes face à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle est engagée. Dans ces conditions, une société civile digne de ce nom devrait exercer la pression sur le gouvernement en place afin que des solutions d’urgence en prévision soient entreprises. Dans des pays où des organisations de la société civile sont organisées, une nuée des protestations et propositions se serait engagée afin de pousser les pouvoirs à l’action afin de corriger ses mauvaises politiques rurales, de manière générale.
Un projet rentable à l’abandon depuis 11 ans
A titre indicatif, depuis 2012, le gouvernement du Tchad a entrepris un travail d’aménagement d’un champ agricole de 10 000 hectares dans la Province de Hadjer Lamis, localité de N’Djaména Fara. D’après le ministre d’Etat, Laoukein Kourayo Médard qui a visité ce champ le 23 mars dernier en vue de la relance des activités, plus de 8 milliards de F CFA ont été décaissés pour l’aménagement de ce terrain pilote. Sur le terrain, le chantier est resté tel depuis maintenant 11 ans. « Le projet est bénéfique et rentable, mais pour des raisons de volonté, d’accompagnement, ce projet gigantesque connaît autant de difficultés. Cela heurte nos consciences. 3 000 hectares d’arbres ont été coupés, cela fait dix ans que nous sommes en train de souffrir entre l’entreprise qui ne fait que viser ses intérêts et un État qui est à la limite de ses moyens », a indiqué le représentant de l’Association des producteurs lors de cette tournée du ministre de la Production et de la Transformation agricoles.
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Un projet dont le but est de contribuer à la lutte contre la pauvreté dans ladite province et répondre aux besoins de la sécurité alimentaire, mais qui est abandonné depuis 11 ans après avoir commencé les travaux deux fois sans progrès, dont la dernière fois en 2016. De pareils projets pour lesquels des fonds sont régulièrement décaissés mais qui sont à l’abandon, sont nombreux. Mais la société civile reste muette, comme si elle était aussi complice de cette mauvaise gouvernance inadmissible.
Face à cette faiblesse de l’Etat, la société civile est appelée à aller en ordre de bataille pour plaider en faveur de la bonne politique agricole, notamment en faveur du monde rural, abandonné depuis de nombreuses années dans les différents plans de développement.
Malheureusement, les autorités de la transition sont arrivées avec les mêmes pratiques. En voyage aux Emirats Arabes Unis en mi-juin dernier, le président de la transition Mahamat Idriss Deby Itno a signé cinq accords de coopération, qui s’élève à 1,5 milliards de dollar, en vue du développement de l’économie tchadienne. Plusieurs autres accords omettent également le secteur agropastoral. Preuve d’une fallacieuse priorité du secteur agricole du Tchad, le secteur agricole évidemment n’est pas mentionné dans ces éventuels financements. Comment expliquer que ce secteur est prioritaire quand il est foncièrement négligé, et ne retienne aucune attention.
A la réalité, la nécessité d’une implication plus directe des actions de la société civile dans ce domaine mais également d’une promotion des stratégies et approches de proposition axées à la fois sur l’anticipation, la prévention et la gestion des crises humanitaires doivent apparaitre désormais comme moyen de pression de la société civile pour que la question du développement du monde rural ne soit plus occultée. Car le monde rural est en train de se vider lentement mais sûrement au profit de grandes agglomérations. Un fléau dont les conséquences sont déjà trop nombreuses dans les villes comme dans les périmètres rurales. La crise alimentaire actuelle est la manifestation de cette situation poreuse.