En fin mars 2023, le ministre d’Etat, ministre de la Production et de la Transformation agricoles, Laoukein Kourayo Médard, a lancé la campagne agricole 2023-2024 dans plusieurs provinces du pays. Alors en train de remettre des charrues aux paysans, le ministre d’Etat leur a, dans la foulée, annoncé de la part du président de la transition, que l’Etat lançait, par-là même « une révolution agricole du Tchad ». Dans la réalité des faits, rien n’est suivi d’effets, alors que les Nations-Unies annoncent une grande famine qui se profilerait à l’horizon au Tchad.
A Bongor, par exemple, chef-lieu de la province du Mayo-Kebbi est, le ministre d’Etat, ministre Laoukein Kourayo Médard, a lancé en grande pompe la campagne agricole 2023-2024 le 28 mars dernier. Et c’est dans la première étape de cette tournée transformée en des meetings, qu’il annonce cette fameuse « révolution agricole au Tchad ». Pourtant, les autorités tchadiennes étaient déjà informées de la compagne agricole en raison des aléas. Le président de la transition l’a confirmé fin juin, à Paris, lors du Sommet international sur le Nouveau pacte financier mondial.
Alors que le gouvernement annonce une ambition qui fait miroiter plus d’un, les agences spécialisées des Nations-Unies, dont le FAO alertent sur une ravageuse famine qui s’abattra sur le Tchad au sortir de la saison de culture 2023-2024. Une annonce qui contraste profondément avec l’espoir du peuple tchadien, particulièrement les paysans qui représentent 80% de la population, dépendant exclusivement des cultures vivrières et de rente.
Au lieu donc de préparer les paysans à cette calamité à l’horizon, Laoukein Kourayo Médard a remis motoculteurs, charrues à traction animales, des matériels informatiques et 2500 sacs d’engrais aux producteurs agricoles de ladite province, avec pleine des promesses. A en croire le ministre d’Etat, « une révolution qui va se concrétiser par la professionnalisation et la mécanisation de l’agriculture tchadienne », dont la ville de Bongor est désormais l’épicentre de l’agriculture. Les paysans ont été véritablement, d’autant plus, flattés par ces paroles qui viennent d’un ministre de la République.
Le ministre d’Etat ne répondait concrètement pas aux préoccupations des producteurs ruraux lorsqu’il dit à chaque étape de sa tournée que « je vais remonter les informations à la haute hiérarchie », une expression employée depuis des lustres par les membres du gouvernement et des directeurs généraux, mais qui n’apportent plus jamais des réponses attendues. Pour comprendre pourquoi cette énième politique agricole est un grand échec, il faut savoir qu’en contexte actuel, il n’y a pas de suivi des prévisions météorologiques. Mais aussi, pour une agriculture résiliente dans pays où elle dépend des caprices climatiques, la situation céréalière et des semences jouent un rôle déterminant dans la production agricole. Or, d’après plusieurs producteurs, aucune de ses préoccupations ne sont prises en compte par le ministère.
La non-maîtrise des besoins des consommateurs
Pour réussir le premier pas de sa politique agricole, Laoukein Kourayo Médard devrait être capable de déterminer, en prévision, les besoins de consommation de la population tchadienne et la capacité de production des producteurs. Comme le suggère l’économiste et homme politique Max Kemkoye, pour qui, « la maîtrise de besoins de consommation et la capacité de production est le principal baromètre pouvant permettre de maîtriser la performance d’une agriculture. Dans le contexte actuel du Tchad, il faut se servir des enquêtes d’ECOSIT 1 et 2 sur la population et l’habitat ». Or, beaucoup estiment que le ministre d’Etat en charge de la Production et de la Transformation agricoles s’est lancé dans l’aveuglette dans une campagne qui s’annonce plus que jamais médiocre. D’ailleurs, le bricolage de cet ancien opposant se manifeste dans ses actions.
En effet, selon notre source, « l’itinéraire de la campagne agricole est cerné ». Mais à la grande surprise de tous, « Laoukein a préféré organiser un show médiatique en se pavanant dans plusieurs villes, modifiant ainsi l’itinéraire », nous confie un observateur de la scène politique tchadienne. Ce qui est encore surprenant, c’est que le ministre Laoukein est entouré, dans ces tournées, par une forte délégation composée des militants de son parti, comme s’il s’agissait d’une campagne électorale.
Un autre facteur de la pagaille dans les politiques agricoles actuelles au Tchad, selon le résultat de nos enquêtes, c’est la confusion entretenue au niveau de la direction du Suivi et Evaluation des Activités agricoles (production, rendement, déficit pluviométrique, ennemis de la culture, évaluation de la superficie emblavée, etc. et la direction du Suivi et Evaluation des Projets et Programmes –sous financement des partenaires. Selon nos informations, la première qui devrait être la cheville ouvrière de toute activité agricole s’est complètement fondue au profit de la seconde pour des raisons purement d’intérêts.
Des données non fiables !
A la direction des études agricoles, c’est aussi la confusion qui règnerait sans compter la désertion par ses occupants. Cette direction est passée aux oubliettes dans les activités agricoles alors que c’est elle le point de départ. Par ailleurs, beaucoup de superviseurs agricoles n’ont pas de moyen qui puisse leur permettre de collecter des données. Pour fournir des rapports de leurs travaux, certains confient qu’ils inventent simplement des chiffres. Le sous-financement de certains organismes sous tutelle telle que l’ITRAD-parent le plus pauvre actuellement- constitue le réel handicap de l’agriculture tchadienne. Pourtant, l’institut devrait être la base de tout progrès.
Ce tableau sombre de l’agriculture tchadienne, si elle conduit à conclure qu’il porte en lui le germe concluant de l’échec de la flatteuse révolution agricole du Tchad, il n’en demeure pas moins qu’il est symptomatique et révélateur de l’histoire de ce département, qui depuis 1992, est réservé à des opposants politiques au régime et qui se changent à tour de bras. Sinon, de manière globale, il serait intéressant d’interroger les changements répétitifs à la tête de ce département et ses différentes directions, au même titre que les changements de nom, qui passe du ministère de l’Agriculture, au ministère de Développement agricole pour passer au ministère de l’Agriculture et de l’Irrigation, etc. pour se retrouver aujourd’hui ministère de la Production et de la Transformation agricoles. Tout ça, pour quel résultat, devrait-on s’interroger. A l’heure actuelle, le Tchad fait face à une famine angoissante, avec à la clé une flambée de prix des produits de première nécessité, y compris les produits locaux.